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Live Report : Matmos + Fennesz (+ hommage à Bernard Parmegiani) au 104

Publié le par Tehos

Live Report #10 - 29 mars 2014

Quand j’arrive au 104 pour ce concert gratuit, je dois encore retirer ma place. Je trouve la billetterie, puis je commence à remonter la file d’attente qui en part. Petit à petit, vu le monde qui attend, je me dis que je risque plutôt de rentrer chez moi sans même entendre la moindre note. Une fois dans la queue, j’échange quelques mots avec mes voisins de doute et j’apprends qu’il y a quand même six cents places disponibles. Deux organisateurs passent tout près et je capte leur étonnement quand au succès de la soirée. Ça avance vite et je pense finalement que ça va le faire. Une fois le fameux bout de papier tant espéré en main, il me reste à nouveau à faire la queue, cette fois pour pénétrer dans la salle.

Live Report : Matmos + Fennesz (+ hommage à Bernard Parmegiani) au 104

C’est un peu la pagaille à l’heure du concert, car tous les spectateurs ne sont pas encore installés. À vingt heures, un intervenant prend la parole pour présenter la soirée, qui fait partie de la dixième édition du festival PRÉSENCES électronique, organisé par l’INA GRM (le Groupe de Recherches Musicales de l’Institut National de l’Audiovisuel). Rien pour l’instant sur les artistes attendus, mais uniquement quelques mots en hommage à Bernard Parmegiani, membre du GRM pendant trente ans et l’un des maîtres de l’électroacoustique. Un avant-gardiste, décédé il y a quelques mois.

Un film d’un quart d’heure nous est proposé pour concrétiser cet hommage. J’y découvre les débuts de Parmegiani à la RTF, où on le voit faire de la captation sonore à l’aide de matériaux bruts et les transformer avec les moyens de son époque en productions sonores plus élaborées. Je souris à plusieurs reprises lorsque je le découvre à la télévision, dans des séquences où il essaie de faire deviner des mots en jouant au mime. On le voit évoluer ensuite au sein du GRM et être récompensé par une Victoire de la Musique dans la catégorie Création de Musique Contemporaine, pour son œuvre "La Création du monde". Il explique sa façon de travailler, sorte de vulgarisation des bases de l’électroacoustique et on découvre quelques réalisations télévisuelles servant de transitions au montage de ce film instructif. Très bien réalisé, il nous aide à comprendre son influence sur la scène actuelle et me donne envie de me plonger dans l’œuvre de Bernard Parmegiani. Apparemment je ne suis pas le seul, vu les applaudissements du public.

Les lumières s’éteignent et un visuel géométrique sobre reste figé sur l’écran du fond. Seuls sont éclairés les puissants outils de diffusion du son, présents au devant de la scène. Une pièce musicale de Parmegiani nommée "Pop’eclectic" est alors proposée aux oreilles de l’auditoire, une création expérimentale de collages sonores qui sent bon la fin des années soixante. Je m’immerge immédiatement dedans, aidé par le très bon son du système sonore mis en place et complété par un dispositif surround sur les côtés et à l’arrière, mettant en valeur la profondeur de la musique. Une belle expérience sonore et musicale.

À vingt heures trente, à peine quelques minutes plus tard et c’est l’entrée des deux américains de Matmos (aussi en couple dans la vie), qui saluent le public sous nos applaudissements chaleureux. C’est aujourd’hui la troisième fois que j’assiste à l'un de leurs concerts et ils ne m’ont jamais déçu. Ils ont toujours fait preuve d’inventivité dans des sets différents et j’ai hâte qu’ils commencent. Je les ai découverts lorsqu’ils ont collaborés avec Björk pour son fabuleux album "Vespertine" (probablement le plus beau disque au monde). Ils se placent derrière leurs tables respectives, collées l’une à l’autre et qui contiennent tout leur matériel, divers claviers et des ordinateurs portables. Ils sont face à face, mais n’occupent que la partie gauche de la scène. À droite, il y a une autre table, mais qui semble encore attendre son heure. En chemise blanche et costume noir, M.C. Schmidt s’est mis sur le côté extérieur. Son compère, Drew Daniel, semble plus décontracté en t-shirt et jean. Il allume un métronome qui se trouve sur un support, au centre de la scène et dont l’ombre est projetée sur le fond blanc de l’écran, "toc toc toc toc toc toc"…

Quelques légers sons se font entendre dans l’obscurité, puis j’ai l’impression de reconnaître des grains de sable qui coulent, comme enfermés dans une boite que l’on retourne à plusieurs reprises. Il y a aussi une texture qui ressemble à de la tôle froissée. Des "glop" et des "gruick" irréguliers viennent combler l’espace, puis un bip retentit et se déforme avant de disparaître. Les deux hommes sont penchés sur leurs tables et semblent assez concentrés. Drew Daniel hoche la tête en rythme avec le métronome qui continue de battre, "toc toc toc toc toc toc"… Le bip revient à plusieurs reprises et se transforme en une sorte de langage digital, surement destiné à des robots, mais ça me parle quand même. Des signaux électriques se mélangent avec des sons plus mécaniques, comme quelque chose que l’on remonte. Je regarde un instant autour de moi, les gens sont presque immobiles, perdus dans une sorte de contemplation, dans un laisser-aller total. Le métronome bat toujours, "toc toc toc toc toc toc" et se mélange aux autres rythmes amenés petit à petit. Tout cet ensemble se superpose brillamment pour envahir la salle, puis se mue en une nappe digitale sur lequel un petit beat vient se poser. Le tempo s’emballe un temps, retombe et une basse lancinante s’installe. Le calme… des interférences… des sons dans l’espace ? Les deux hommes sont presque plongés dans le noir et semblent totalement à ce qu’ils font. Ondes, beats et divers sons désordonnés s’entrelacent avec douceur dans une évolution devenue plus chaotique. Puis le calme revient. Seuls restent le battement du métronome, "toc toc toc toc toc toc" et quelques interférences sonores qui soubresautent encore. Une fréquence dure, fluctue légèrement et s’éteint en même temps que le reste, d’un coup.

Je n’ai absolument aucune idée du nom du morceau qu’ils viennent de nous présenter. Une pièce d’environ dix minutes, dans laquelle j’ai pu me perdre facilement et me laisser porter à la découverte de ces sons transformés. Il me semble alors être facile de faire le rapprochement avec Bernard Parmegiani, tant Matmos illustre parfaitement sa façon d’appréhender la musique (en tout cas, d’après ce que j’en ai compris dans le film de tout à l’heure). Ils travaillent eux aussi à partir de matériaux bruts qu’ils transforment et souvent autour de thématiques dans lesquelles ils évoluent, mais toujours en toute liberté.

Alors qu’une vague d’applaudissements s’éteint, Drew Daniel vient se placer à côté de son compère et tous deux annoncent la seconde pièce de la performance, "The Backyard". Ils présentent ce titre comme étant un extrait de l’opéra "Perfect Lives", une oeuvre de leur compatriote Robert Ashley, décédé il y a à peine quelques semaines. C’était un compositeur de musique contemporaine qui mélangeait musique et théâtre. Dans sa version originale, "The Backyard" s’étend sur vingt-cinq minutes et contient une sorte de narration lente sur fond de tablas, ainsi que des claviers qui apportent une dimension un peu transcendantale au morceau.

Toujours debout depuis le début, Daniel retourne de son côté. M.C. Schmidt reste assis à sa place, mais tombe la veste et saisit une guitare acoustique. Il joue quelques notes, puis un arpège qu’il enregistre. Une fois cette boucle en train de tourner, il arrête de caresser les cordes en nylon et entame la narration à l’aide du micro se trouvant devant lui. Quand à Drew Daniel, il a lancé une séquence de tablas, l’ensemble est assez doux et léger. Les mots s’arrêtent et Schmidt tourne sa guitare sur le dos en la posant sur ses cuisses, mais cette fois il joue à l’aide d’un bottleneck. Les notes issues de son jeu en slide se mêlent à l’arpège précédemment enregistré avec lequel Daniel s’amuse en le déstructurant. Puis, le slide s’arrête et la narration reprend, soulignée par quelques gestes du bras de la part du conteur et soutenue par les discrètes tablas qui reviennent doucement. Petit à petit, différents éléments viennent se superposer, un son de percussion plus sourd et différentes variations de guitare, remixées en live par Drew Daniel. La diction du texte est assez relaxante, presque rassurante et la musique a gagné en relief. Schmidt recommence à jouer un arpège et des harmoniques, tout s’entrelace, je perds la notion du temps et je me laisse porter par cet ensemble instrumental, à la fois simple et complexe. Un instant, tout ça sonne presque un peu asiatique, c’est plutôt agréable. Il se concentre ensuite à nouveau sur la narration pendant que la musique continue de tourner, mais d’une manière plus linéaire, qui laisse les mots attirer d’avantage l’attention. Soudain, toutes les cordes résonnent ensemble. M.C. Schmidt a joué un coup à vide et laisse sonné le son distordant quelques secondes avant de le stopper net, alors qu’il continue encore de parler. Progressivement, certains sons se sont transformés pour ressembler à un rythme plus familier, j’entends presque des éléments d’une batterie. Un coup à vide sort une fois de plus de la guitare, bientôt suivi par quelques notes et harmoniques en live, sur lesquelles Drew Daniel mixe toujours des parties de guitare enregistrées précédemment. Sa moitié, qui lui fait toujours face, désaccorde son instrument et entame un rythme un peu plus soutenu, mais en étouffant les cordes. Tout ça prend un peu plus de volume et d’intensité. La musique tourne encore un moment, puis finit par s’éteindre, trop rapidement à mon goût. Cette interprétation assez personnelle a duré plus de vingt minutes, sous l’attention studieuse d’un public plutôt réceptif.

Live Report : Matmos + Fennesz (+ hommage à Bernard Parmegiani) au 104

Les deux hommes se rejoignent et saluent une nouvelle fois le public avant de s’en aller discrètement. Je suis surpris qu’ils partent si vite et presque déçu, c’était bien trop court. Ils n’ont joué qu’une demi-heure en tout, c’était un bon set, mais assez calme. Le son était magnifique et je suis, une fois de plus, complètement acquis à leur cause. J’ai d’abord été aux aguets, attentif à tout ce qui pouvait se passer, puis je me suis laissé happer progressivement par l’atmosphère qu’ils ont su installer habilement, parfois même en fermant les yeux, pour essayer de ne faire plus qu’un avec le son. Et j’aurai bien aimé y rester plongé encore un moment…

Nous n’attendons qu’une poignée de minutes avant l’entrée sur scène d’un homme, portant un costume sombre et les cheveux mi longs. C’est Christian Fennesz, guitariste autrichien, dont les productions s’apparentent plutôt à une musique électronique atmosphérique. D’après le programme du festival, il est censé présenter son nouvel album, "Bécs", mais je ne connais pas trop son travail, ou d’assez loin. Il s’installe à l’opposé du coin dans lequel évoluait Matmos, là où se trouvait déjà une table à l’abandon. Dessus, j’y aperçois un ensemble pour mixer, un ordinateur portable et quelques pédales d’effets. Il enfile la sangle de sa guitare et commence à triturer différents réglages.

Tout doucement, des nappes d’ambiance viennent tisser une toile de fond sonore. Puis, il joue quelques notes sur son instrument et enregistre des séquences d’accords. Il a un son très saturé, qui grésille et agresse presque l’oreille. D’ailleurs, je trouve que le son est très fort, ça contraste beaucoup avec l’ambiance intimiste développée par Matmos. Fennesz plonge sur son écran d’ordi, effectue quelques bidouillages et mixe des textures électro avec les sons de guitare transformés, parfois presque méconnaissables. Quand il reprend en main le manche de sa gratte, les notes commencent par résonner une par une, puis par ensembles et en salves de trémolos. Le son de l’instrument est assez proche de ce que l’on peut entendre dans certains groupes de post rock, mais elle est vraiment trop forte. D’ailleurs, je pense que c’est la raison principale pour laquelle certains spectateurs désertent leurs places depuis quelques minutes. Du bruit blanc et de froids bruissements viennent s’insérer à travers les nappes et se mêlent aux notes saturées. Petit à petit, le son enveloppe tout et m’évoque d’avantage un paysage ou une peinture sonore, qu’un assemblage de morceaux. J’ai l’impression d’entendre de la pluie et c’est un peu comme si une brume nous enveloppait tous. Soudain, un son grave résonne, ça me fait penser à la sirène d’un bateau qui fendrait le dense et opaque brouillard autour de nous. Puis, les membranes vrombissent dans une orgie sonique qui me fait presque trembler, mais tout s’estompe ensuite. Des sons inquiétants apparaissent et l’atmosphère devient sombre et étouffante, alors que des spectateurs continuent discrètement de s’éclipser. Cette mixture de sons semble provenir de l’au-delà, ou des profondeurs insondables de l’espace. À certains moments, je pense à autre chose et je regarde un peu autour de moi. Quelques places sont maintenant vides par-ci, par-là et certains spectateurs ne semblent plus captiver, mais plutôt dans l’attente. Tout s’adoucit, puis la guitare revient, à nouveau bien identifiable, plus humaine et plus accessible. Fennesz plaque des accords qui sonnent très mélancoliques et je regrette vraiment de ne pas avoir pris mes boules Quies. Mes oreilles sont au supplice à cause du volume sonore, je ne vais pas pouvoir tenir encore bien longtemps comme ça. Heureusement, la saturation dégonfle et je comprends que c’est la fin du set.

La prestation de l’autrichien aura duré une quarantaine de minutes, tout comme l’album "Bécs". En revenant plus tard sur ce dernier, je pense avoir la confirmation que c’est bien ce qu’il a joué. Certains morceaux m’ont tout de suite semblés familiers, en particuliers quelques phases bien reconnaissables. Je me souviens surtout de l’évocatif "Liminality" (pièce de dix minutes) et du très bruyant "Bécs". Sur scène, l’album est joué comme s’il s’agissait d’une seule pièce, il n’y a pratiquement pas de pauses ou de transitions. Le set m’a semblé un peu monotone et le son était trop fort pour permettre aux gens de s’imprégner de l’atmosphère développée par l’artiste. À certains moments, je pense que s’y j’avais crié, personne ne m’aurait entendu.

En résumé, ce fut une assez bonne soirée. L’entrée était gratuite et j’ai vraiment pris du plaisir à revoir Matmos, cette fois dans un set assez différent. J’ai aussi découvert Bernard Parmegiani, j’en suis bien content et j’en ressors enrichi. Mais tout ne peut pas être parfait et j’avoue ne pas avoir vraiment adhéré à la prestation de Fennesz, plutôt ennuyeuse selon moi. Mes oreilles s’en souviennent encore…

Tehos

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