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Live Report : Agnès Obel à l'Olympia

Publié le par Tehos

Live Report #19 - 5 octobre 2014

J'ai découvert Agnès Obel il y a trois ans, à l'occasion de la réédition de son premier album, sorti l'année précédente. Traînant sur Deezer à la recherche d'une nouvelle pépite, mon attention fut attirée par l'intrigante atmosphère se dégageant de la pochette de son "Philharmonics". Happé par le regard insistant de la chanteuse et pianiste danoise, j'ai été plongé dans son univers envoûtant et intimiste. De simples mélodies interprétées au piano, comme des ritournelles enfantines, ensemble de jolies ballades portées par une voix mélancolique. Avec "Aventine", son second album, Agnès Obel a confirmé son talent et affirmé sa personnalité, livrant un disque parfait et dans lequel on a envie de se replonger sans fin. Ayant vu partir à toute allure les places pour les trois dates parisiennes de la tournée (deux Trianon et un Grand Rex), une curiosité pour cet engouement soudain me poussa à me précipiter sur une billetterie virtuelle lorsqu'une quatrième date fut annoncée, cette fois à l'Olympia.

Quand j'arrive, pas franchement à l'heure, le rez-de-chaussée est presque plein et il y a du monde jusqu'au fond de la salle. Impossible de m'avancer à moins de jouer des coudes, ce dont je décide de me passer. Je ne m'attends pas à ce qu'il y ait grand-chose à voir ce soir, je vais rester un peu éloigné de la scène, ça ira très bien. Deux musiciens et une chanteuse sont en plein set, il s'agit du groupe néo-zélandais French for Rabbits. Je ne suis pas vraiment fan de la voix et c'est un peu trop léger pour moi, j'attends donc la suite avec impatience. Comme l'été a fait ses valises hier pour partir en vacances, il fait plutôt froid dehors. Du coup, une grande partie du public est chargée de lourds manteaux, alors qu'il fait très chaud dans la salle. Après la première partie, un bon nombre de spectateurs se sont assis par terre pour attendre. Les gens sont très bruyants et l'assemblée est exceptionnellement à majorité féminine. J'entends des discussions autour de moi et je découvre la surprise de certains, étonnés de devoir attendre entre les deux sets. À plusieurs reprises, quelques-uns se mettent à frapper des mains, mais leurs tentatives restent sans conséquence. Les minutes passent lentement, puis vers vingt-et-une heure, la foule se relève, sentant que le début du concert approche.

Effectivement, quelques instants plus tard, quatre jeunes femmes vêtues de noir font leur apparition sur scène. Agnès Obel, facile à repérer avec sa chevelure blonde entortillée et en partie tressée par-dessus son épaule, s'installe derrière un piano droit qui l'attend sur la gauche, face au public. Les trois autres musiciennes s'alignent à sa suite, la première au violoncelle, la seconde au violon, puis la dernière derrière le clavier d'un mellotron, d'où commence déjà à sortir la mélodie du court instrumental "Louretta". Le silence est tombé sur l'assemblée, plongée d'emblée dans l'ambiance qui s'installe très vite grâce à cette ritournelle sortie tout droit d'un compte hivernal. C'est dans l'obscurité que la pianiste enchaîne avec une transition inédite sur "Pass Them by", tandis que la musicienne qui était au violoncelle se saisit d'une guitare acoustique, laissant son instrument entre les mains de celle qui se trouvait derrière son clavier. L'arpège et les notes pincées délicatement tissent une toile sur laquelle vient se poser la voix d'Agnès Obel, très expressive dans sa diction. À ce moment là, je me rends compte que le fond de la scène est recouvert d'une sorte de matière, comme du papier froissé, qui se met à rougeoyer irrégulièrement, un peu à la manière d'un tapis de braises. C'est très réussit et ça colle parfaitement à l'atmosphère de coin du feu.

Live Report : Agnès Obel à l'Olympia

Après cette première pause, la foule applaudit chaleureusement et la chanteuse prend un petit moment pour nous dire qu'elle est honorée de faire son premier Olympia. Une timidité naturelle perce alors à travers son discours, un peu hésitant. Elle annonce ensuite le prochain morceau, "Beast", puis se lève et s'installe à un second piano, celui-ci à queue, caché par le premier. Seul le clavier dépasse derrière le piano droit, de telle manière que je ne l'avais pas vu jusqu'à présent. Les musiciennes ont repris leur place du début et assurent les chœurs en soutien d'Agnès Obel. Le fond est devenu vert, très doux et allié à la musique, il m'évoque maintenant une douce balade en forêt.

La pianiste attend que le silence revienne pour jouer ensuite la mélodie de "Fuel to Fire". Je ferme les yeux et je m'imagine sur un sentier bordé par des arbres à la dense frondaison. Je distingue alors à peine les filets de lumière qui tentent de percer la voute qui s'est formé au-dessus de moi. J'y perçois des tressaillements, de légers soubresauts rouges, dont l'intensité lumineuse est calée sur les variations de la musique. On dirait une entité vivante, dont la fragile étincelle serait à deux doigts de s'éteindre, étouffée par l'obscurité. Par moments, des voix montent vers le ciel, comme un appel implorant. Une vibration de cordes sous tension bourdonne encore et sert de lien avec "On Powdered Ground", quand un air rapide se met à sortir du piano. La voix de la danoise vient s'y accrocher, semblant vouloir rattraper le fil de quelque histoire qui s'effiloche entre les arbres. Si j'étais proche, je suis sûr que je pourrais voir les traits de son visage se déformer, suivant sa ligne de chant très vivante. Cette fois, pas d'éclairage particulier et les trois musiciennes manient maintenant l'archet, deux au violoncelle, une au violon. Les cordes résonnent un instant dans un fébrile appel, avant de s'unir dans une montée frémissante qui s'arrête soudainement, laissant la réaction du public lui succéder. Comme depuis le début du set, les gens se contiennent silencieusement durant le morceau, laissant exploser leur réponse aussi forte que soudaine, lorsque la musique s'éteint.

Live Report : Agnès Obel à l'Olympia

C'est sans aucune parole qu'Agnès Obel retourne à son piano droit, alors que des notes pincées de violoncelle se mettent à résonner et me font un peu penser à une lente valse. La chanteuse se sort superbement bien de cette reprise d'Elliott Smith, un talentueux artiste américain, disparu il y a une décennie à l'âge de trente-quatre ans et qui se serait soit disant suicidé au couteau (mais l'enquête reste ouverte). L'éclairage du fond est devenu bleu et la matière qui en ressort ressemble à l'écorce d'un tronc d'arbre. Les couleurs changent en fonction des morceaux, mais restent toujours dans des teintes subtiles et agréables, elles ne sont jamais criardes. La danoise se concentre sur son chant pendant les trois quarts du morceau, accompagnée délicatement par ses compères de scène et ne se met à jouer que vers la fin, pour une partie instrumentale. Une jolie interprétation de "Between the Bars", aussi triste que le fut la disparition de son interprète d'origine et qui laisse les spectateurs sans voix. Pas le temps de verser une larme, car Agnès Obel est déjà passé au titre suivant, "Dorian", comme poussée par une quelconque urgence. Le public frémit, mais écoute attentivement la chanteuse qui semble nous raconter une nouvelle histoire chargée de mélancolie. Sur ce titre, elle ne chante plus seule, mais avec l'aide de sa violoncelliste, très présente. Lorsque les mots s'éteignent, les notes sortant du frottement des archets sur les cordes se mettent à tourbillonner ensemble avant de disparaitre. Cette fois, après une belle vague d'applaudissements, Agnès Obel fait une tentative pour nous parler en français (elle repasse vite à l'anglais) et nous présente ses musiciennes. Il y a Anne Müller (qui l'accompagne habituellement si j'ai bien compris), Mika Posen (qui fait partie du groupe canadien Timber Timbre) et une troisième dont je n'ai pas saisis le nom. Je n'avais pas fait attention, mais j'apprends aussi à ce moment là que les trois filles s'enregistrent en live pour utiliser des boucles sur lesquelles elles peuvent jouer.

Live Report : Agnès Obel à l'Olympia

Après ce petit aparté, elle annonce "Aventine", titre éponyme de son dernier album. Le fond bleuté s'illumine à nouveau et cette fois, j'ai plutôt l'image d'une caverne ou d'une paroi rocheuse. Les spots jaunes du plafond se mettent à clignoter lentement, soulignant le grincement des archets. Ces derniers ont un réel apport mélodique, d'autant plus que les boucles sont justement très utilisées sur ce morceau. Les cordes pincées en rythme forment une sorte de canevas sur laquelle évolue la musique. Vers la fin, les voix des quatre femmes se mêlent dans un arrangement très réussi. Agnès Obel nous présente ensuite "Run Cried the Crawling", un morceau un peu hypnotisant et sur lequel les cordes marquent une sorte de rythmique répétitive. Cela me donne la sensation d'être en train de marcher en rond dans la neige, ressassant des idées troubles et essayant de mettre mes pas dans les empreintes laissées aux tours précédents. Je m'oublie un peu dans ma flânerie, bercé par les chœurs angéliques qui accompagnent la chanteuse. Par moments, des éclairs illuminent la grotte et me font sortir de ma rêverie, flashs provenant des spots clignotant alignés dans le ciel et au pied du mur de pierre violet.

Après une longue salve d'applaudissements, Agnès Obel nous dit qu'elles vont jouer un nouveau morceau qui n'a pas encore de nom. Elle s'essaie même à nouveau au français, chuchotant presque "C'est la première fois qu'on va jouer cette chanson". Puis elle commence à faire danser ses doigts sur les touches de son piano, tandis que ses comparses l'accompagnent délicatement. Ce qui me frappe tout de suite, c'est l'importance que prend la voix par rapport à la musique, envoûtante et planant au-dessus des cordes qui semblent coudre une trame. Anne Müller est assise sur une chaise, jouant de l'archet sur son violoncelle, tandis que Mika Posen se tient debout avec un violon. La troisième musicienne est sur le côté, usant de baguettes sur un tom de batterie installé à côté de son mellotron. Les quatre voix s'élèvent ensuite à l'unisson, nous amenant à un très beau refrain. La fin est une entêtante partie instrumentale et Je suis plutôt emballé par cette nouvelle composition, que j'ai hâte de retrouver sur un prochain disque, déjà prometteur ! Apparemment, je ne suis pas le seul, vu les réactions du public, complètement conquis. Pendant que les applaudissements se prolongent, Anne Müller échange son violoncelle contre une guitare sèche et Mika Posen rejoint son autre collègue au mellotron. Un spectateur fait rire Agnès Obel, surprise qu'il ait deviné le nom du prochain morceau, "Brother Sparrow". Les notes pincées à la guitare précèdent la mélodie jouée au piano et les applaudissements qui reviennent déjà. La douceur vient alors nous prendre pour nous bercer dans une délicate ballade acoustique, qui voit à nouveau les trois musiciennes s'unir dans des chœurs aériens.

Une fois le silence revenu, les premières notes du délicieux "Riverside" excitent l'assemblée et je frisonne à l'écoute de la voix de la chanteuse qui se met à résonner dans la salle avec émotion. Le fond coloré est devenu vert d'eau, les cordes sont à peine effleurées, tandis que la troisième musicienne s'est installée au piano à queue. L'ambiance est très respectueuse et je me surprends même à me balancer légèrement, bercé par le refrain sur lequel des anges descendent à nouveau nous visiter. Agnès Obel joue avec les silences et nous envoûte totalement avec cette très belle interprétation, alliant simplicité et grâce à merveille. Un petit bijou très précieux !

Une fois installée à son piano à queue, Agnès Obel nous annonce la fin du set imminente et une chanson d'amour qu'elle aimerait bien nous présenter en français, alors elle promet "Next time!" Le fond tourne au rouge passion, tandis que les trois musiciennes s'équipent, deux au violoncelle et une au violon. Lorsque notre hôte commence à jouer du piano, puis à chanter, des amoureux se rapprochent et tout le monde s'immobilise pour écouter "Words Are Dead", morceau au titre si évocateur je trouve. Un sentiment de mélancolie m'envahit rapidement, alors que je savoure cette douceur éphémère, mais si onctueuse. Tout le monde reste en place et les instruments à cordes sont réaccordés. Puis, le public crie et applaudit dès qu'il reconnaît les premières notes de "The Curse". Certaines sont pincées, d'autres percutées avec un archet et misent en boucle, donnant l'impression d'entendre un tic tac. Sur toute la première partie du morceau, Agnès Obel se concentre uniquement sur son chant, laissant le piano de côté et suivant les intonations de sa voix par des gestes de la main. La scène est presque plongée dans le noir et seuls quelques spots légers éclairent les musiciennes. Puis, le fond se met à rougeoyer comme au début du concert, nous réchauffant, alors que le refrain côtoie à nouveau l'azur avant de redescendre faire frémir les spectateurs. Une longue montée instrumentale me porte sur la fin du morceau et s'arrête tout d'un coup, comme aspirée à travers un trou noir. Le public explose de reconnaissance, alors que la chanteuse se lève pour attendre que ses musiciennes se placent à ses côtés. Elles sortent ensuite de scène, marchant l'une derrière l'autre.

Elles reviennent dans la minute, toujours à la file indienne. Agnès Obel s'assoit au piano droit et nous confie qu'elle est très contente de jouer en France (où elle rencontre un succès certain) et annonce une nouvelle chanson d'amour, une reprise du "I Keep a (Close Watch)" de l'ex membre du Velvet Underground, John Cale. Elle précise à l'occasion qu'il ne faut pas le confondre avec un autre compositeur célèbre et aujourd'hui disparu, John Cage, qui œuvrait lui, plutôt dans le domaine de la musique contemporaine expérimentale. Cette interprétation s'intitule juste "Close Watch" et on peut en trouver une version studio sur "Philharmonics". L'éclairage est cette fois mené par des spots qui se baladent anarchiquement sur le fond, donnant l'impression de points de lumière mouvants. Mika Posen s'est mise au mellotron, tandis que les deux autres musiciennes sont au violoncelle. Puis, elle profite bientôt d'une mise en avant de ce dernier pour reprendre son violon. Toutes trois appuient la chanteuse aux chœurs et comparé au reste du set, ce morceau semble filer à toute allure.

Dès la fin du morceau, les trois musiciennes s'en vont et laisse Agnès Obel seule derrière son piano "It's the very last song", qui nous explique qu'elle n'est pas trop sûr du sujet de sa chanson, mais que cela a probablement un rapport avec les illusions. Elle se lance dans "Smoke & Mirrors", tandis que la salle sombre dans le noir complet. L'ambiance est très intimiste, j'ai l'impression d'être le seul spectateur d'un cabaret perdu. Seul un unique spot éclaire la chanteuse par en haut, jusqu'à ce que les parois de la caverne se mettent à réfléchir des reflets bleu et vert qui disparaissent avec les dernières notes de piano. Un simple "Merci", presque couvert par les applaudissements du public, précède la sortie rapide et discrète de l'artiste.

Même si je reste convaincu que ce genre de musique se savoure mieux sur disque, je dois admettre que la chanteuse danoise nous a offert ce soir une jolie prestation d'une heure vingt, livrant un répertoire partagé entre ses deux albums et agrémenté de deux reprises et d'un nouveau titre très réussit. J'ai particulièrement apprécié le travail réalisé sur le fond de la scène, véritable paroi vivante, adaptant son apparence aux différents morceaux, tout en restant toujours dans une gamme de couleurs ramenant à la nature. Les morceaux se sont succédés, tous plus beaux que les autres, créant une bulle de sensibilité hors du temps. Agnès Obel semble nous raconter des histoires, tandis que nous sommes blottis au coin du feu et sous une couverture bien chaude. La musique nous prend et le regard fini par se perdre dans l'observation de flocons qui tombent au-dehors, derrière la fenêtre. Une sorte de porte ouverte pour une jolie balade à travers un conte mélancolique.

Tehos

  1. Setlist :
  2.  
  3. "Louretta"
  4. "Pass Them by"
  5. "Beast"
  6. "Fuel to Fire"
  7. "On Powdered Ground"
  8. "Between the Bars" (reprise d'Elliott Smith)
  9. "Dorian"
  10. "Aventine"
  11. "Run Cried the Crawling"
  12. "Unknown" (nouveau morceau sans nom)
  13. "Brother Sparrow"
  14. "Riverside"
  15. "Words Are Dead"
  16. "The Curse"
  17.  
  18. "Close Watch" (reprise de John Cale)

"Smoke & Mirrors"

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